Au Sud, l’accueil invente ses propres routes : initiatives associatives et mobilisations pour les personnes réfugiées

07/08/2025

Traverser, habiter, tisser : la toile associative du Sud

Autour de la question migratoire, les réseaux du Sud fonctionnent en archipel. On y croise des chantiers solidaires, des festivals, des compagnonnages artistiques, des ateliers populaires, autant de lieux où il ne s’agit pas simplement de “gérer” la migration, mais d’envisager l’accueil comme une scène collective et politique. Dans l’arrière-pays de Menton, dans les quartiers populaires de Marseille, dans la vallée de la Roya, ou sur la côte languedocienne, chaque territoire a vu naître ses propres gestes d’hospitalité et ses manières d’alerter l’opinion.

Des collectifs refuges, premiers bastions de l’accueil inventif

Auprès des gares, aux frontières, dans des villages ou sur les places publiques, certains noms reviennent — pas pour se faire mousser, mais parce que leur obstination a changé la donne locale. Portraits choisis, parmi tant d’autres.

La Roya Citoyenne : hospitalité clandestine et ateliers partagés

Impossible d’évoquer l’accueil dans le Sud-Est sans citer l’association Roya Citoyenne (vallée de la Roya, Alpes-Maritimes). Née en 2015, elle rassemble riverain·es, maraudeur·euses et hébergeur·euses bénévoles face au passage massif de personnes migrantes à la frontière italo-française. Plus que l’aide matérielle (hébergement d’urgence, repas, soutien administratif), Roya Citoyenne multiplie les actions de sensibilisation auprès du grand public :

  • Réalisation de documentaires et rencontres publiques (projections, débats avec les personnes concernées et les bénévoles, accueil de journalistes internationaux, comme lors de la campagne “Les frontières tuent”)
  • Organisation d’ateliers auprès d’écoles et de collèges : témoignages, chantiers communs, lectures publiques
  • Participation à des festivals locaux où la migration devient sujet sensible et vivant, plutôt que simple “problème” médiatisé

Depuis sa création, la Roya Citoyenne affirme environ 3000 personnes accompagnées : hébergement, accompagnement, formation et mise en réseau locale (chiffres 2022, voir site officiel). Leur impact, plus difficile à quantifier, se lit aussi dans les récits d’hospitalité partagée et la transformation de représentations autour des réfugié·es dans une vallée rurale autrefois peu concernée.

Marseille, laboratoires urbains : SOS Méditerranée et le festival Allez Savoir

  • SOS Méditerranée, basée à Marseille, fait office d’éclaireur maritime et médiatique. Loin de ne se limiter au sauvetage en mer (34 631 personnes survivantes débarquées entre 2016 et 2023 selon leur rapport annuel), l’organisation pilote dans la cité phocéenne de nombreuses actions de sensibilisation :
    • Expositions itinérantes sur l’Aquarius et l’Ocean Viking (théâtre de la Criée, Friche Belle de Mai…)
    • Interventions dans les établissements scolaires : plus de 50 000 élèves touchés en France dont près de 9 000 dans les Bouches-du-Rhône depuis 2018 (source : SOS Méditerranée)
    • Organisation de la Journée européenne du Sauveteur en Méditerranée
  • Le festival Allez Savoir, impulsé par l’EHESS et des associations partenaires, intègre régulièrement des tables rondes et ateliers sur l’hospitalité, en invitant des réfugiés et associations locales (notamment l’ADDAP13, la Cimade, ou Amnesty International).

Quand la fête devient manifeste : festivals et événements engagés

Demander à la fête de soulever des questions, c’est un pari d’abord tenté dans les festivals militants du Sud, qui conjuguent musiques, débats et rencontres pour subvertir l’image d’une région repliée. Parmi eux, des formats récents ou plus installés s’engagent sur la question de l’accueil.

  • Festival les Révoltés de l’Histoire (Gard, Uzège - Languedoc) : Chaque année, ce rendez-vous rassemble conférences, concerts et ateliers mêlant exilé·es, historien·nes, publics scolaires et habitants. L’édition 2023 a mis en lumière le parcours de plusieurs personnes syriennes et soudanaises réfugiées, à travers le théâtre-forum et la réalisation de fresques collectives sur les murs du village.
  • Festival Migrant’scène (coordonné nationalement par La Cimade, avec antennes à Montpellier, Nîmes, Marseille, Nice…) : Des projections de films documentaires, spectacles de rue, repas solidaires, et expositions photo. En 2022, à Montpellier, ce sont plus de 2 000 participant·es réunis sur 10 jours (données Cimade), et des dizaines d’organisations associées.
  • Les États Génér’Eux (Marseille, La Plaine) : Une sorte d’agora festive organisée chaque automne pour “brasser” habitants, nouveaux arrivants et collectifs de soutien. Ici, les stands d’associations (Amnesty, Ligue des Droits de l’Homme, Collectif Accueil 13…) côtoient concerts, ateliers d’impro, scènes ouvertes et cercles de discussion multilingues.

Créer du lien, changer d’imaginaire : ateliers, arts et espace public

La pédagogie ne se nourrit pas que de chiffres ou de conférences. Dans le Sud, l’art et la pratique collective deviennent aussi trame de sensibilisation et d’hospitalité :

  • Ateliers cuisine et langues partagées : À Nice, le collectif Réfugiés Bienvenue 06 organise tous les mois des cuisines solidaires ouvertes au public, moment d’échange de savoir-faire culinaires, mais aussi de discussions informelles permettant d’aborder les réalités administratives ou culturelles du parcours d’exil. En 2022, près de 500 personnes différentes, dont plus de la moitié venues d’associations locales, y ont participé (source : newsletter RB06, janvier 2023).
  • Projets photographiques et podcasts : L’association Revivre à Avignon a piloté en 2023 l’opération “Portraits d’exilé·es”. 15 photographes bénévoles et autant de personnes en parcours d’asile ont conçu un parcours photo dans l’espace public, accompagné d’une série de podcasts diffusés à la maison des associations.
  • Théâtre-action dans les quartiers nord de Marseille : La compagnie Mot à Mot accueille depuis trois ans à la Busserine des ateliers de théâtre-forum mêlant jeunes, personnes migrantes et habitants de longue date, où l’on rejoue, décortique, puis discute les situations de discriminations à l’accueil ou à l’école.

Des démarches citoyennes et des engagements individuels démultipliés

La force du tissu associatif du Sud réside aussi dans cette écologie des petits gestes, des réseaux d’hospitalité improvisés qui deviennent, à force de liens répétés, une résistance diffuse à la logique du rejet. Quelques exemples :

  • Réseau Hospitalité Sud : Né en 2018 à l’initiative de collectifs varois, il relie près de 150 familles ou personnes prêtes à offrir ponctuellement un hébergement d’urgence, mais propose aussi des formations courtes à la médiation interculturelle, des réunions d’information dans les villages sur le droit d’asile ou la réalité des parcours migratoires (notamment dans le centre Var, Brignoles, Draguignan).
  • Collectif Aidons Les Réfugiés à Montpellier : Organise des maraudes de rue, mais aussi des interventions dans les universités et entreprises, pour porter la voix des concerné·es et tordre le cou aux préjugés sur le coût supposé de l’accueil (campagnes “Toutes et tous citoyen·nes”, 2021-2023).
  • Expériences d’hospitalité agricole : Dans les Pyrénées-Orientales, quelques exploitants viticoles ou maraîchers (notamment via la Confédération Paysanne ou Terre de Liens) organisent des chantiers participatifs ouverts aux demandeurs d’asile, occasion de partage de savoirs et d’accès à la formation, parfois à court terme mais décisif pour l’intégration locale (source : Conf. Paysanne 2023).

Regards croisés : écueils, questions et balises pour la suite

L’hospitalité dans le Sud n’est pas sans ambiguïtés, ni sans tension. Entre criminalisation de l’aide à la frontière (voir le procès de Cédric Herrou, agriculteur militant de la Roya, plusieurs fois poursuivi puis relaxé), manque criant de moyens publics, fatigue associative et préjugés persistants, les collectifs témoignent aussi de failles structurelles. Pour aller plus loin, de nombreuses associations plaident pour :

  • Une reconnaissance du travail de sensibilisation : Formation des agents municipaux, interventions scolaires systématisées, budget participatif pour les démarches citoyennes hors des centres-villes.
  • Des espaces de rencontre pérennes : Beaucoup d’initiatives s’usent faute de salle ou d’équipement. La ville de Marseille a accordé en 2023 à l’association Elan Interculturel un “Espace d’accueil solidaire” multi-associatif, permettant d’ancrer les ateliers et actions culturelles dans la durée (voir marseille.fr)
  • Un passage du témoignage à la co-construction : Beaucoup insistent sur la nécessité de redonner la parole et la conduite des débats aux personnes directement concernées, que ce soit dans l’espace public ou à travers les médias indépendants (Radio Galère à Marseille, Radio Grésivaudan à Nice ou Radio Pays d’Hérault à Montpellier).

Friction et fraternité : la dynamique associative comme énergie politique

Face à la tentation du repli, le Sud de la France oppose parfois, souvent, sa capacité à réinventer l’accueil au ras du sol, dans l’entremêlement des histoires et la diversité de ses mobilisations. L’espace public y devient scène — non pas de la tragédie, mais de l’invention partagée. Festivals, collectifs ruraux, compagnies artistiques ou réseaux d’hospitalité silencieux dessinent ainsi une carte sensible de la solidarité, jamais achevée, toujours en mouvement. À suivre, partout où la fraternité se bricole à hauteur d’humain.

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