Le Printemps des Luttes : Cartographie sensible des grands rassemblements militants en France

01/09/2025

Déferlantes écologistes : mobiliser la terre, défendre le vivant

Sur la carte du militantisme, les luttes écologistes déploient, chaque printemps, une géographie puissante de rassemblements de masse. De la lutte anti-bassines dans les Deux-Sèvres aux marches climat dans les métropoles, chaque année compose ses propres épopées, souvent dans l’urgence et l’inventivité face à l’urgence climatique.

Les mobilisations anti-bassines et luttes pour l’eau

Dernier week-end de mars : dans le bocage poitevin, la lutte contre les méga-bassines – ces réserves d’eau destinées à l’irrigation intensive – fédère des milliers de personnes, militants paysans, habitants, écologistes radicaux. En 2023, la mobilisation à Sainte-Soline a rassemblé jusqu’à 30 000 participant·es selon les organisateur·ices (Le Monde, Reporterre). On y retrouve le collectif Bassines Non Merci, la Confédération paysanne, les Soulèvements de la Terre, en résistance non seulement contre la privatisation de l’eau mais aussi pour la construction d’alternatives agricoles.

  • Actions : manifestations, marches, occupations de sites, assemblées, ateliers autogérés et village autogéré sur plusieurs jours.
  • Ambiance : chandails mouillés, poésie punk, banderoles bariolées, débats fougueux autour d’une marmite de soupe partagée.
  • Dates notables : fin mars, début avril chaque année.

Certaines années, des rassemblements simultanés se tiennent ailleurs : arrêt écologique au plateau de Saclay ou au Site des Amassada en Aveyron, autour des enjeux de l’artificialisation des terres ou des méga-éoliennes.

Les Marches pour le climat et la biodiversité

De Paris à Lyon, de Strasbourg à Toulouse, les marches climat s’invitent dans la plupart des grandes villes entre mars et mai, dans le sillage de mouvements tels que Fridays For Future France, Alternatiba ou les Amis de la Terre. L’édition du 9 avril 2022 a rassemblé plus de 135 000 manifestant·es dans tout le pays (source : Reporterre). Au menu : pancartes inventives, déguisements d’abeilles, cortèges bigarrés où convergent ONG, étudiants, collectifs antinucléaires et quartiers populaires.

  • Particularités : La désobéissance civile s’y fait de plus en plus visible (Die-in, chaînes humaines, occupations de sièges bancaires), révélant une jeunesse transformant l’action climatique en fête politique.
  • Moments phares : la "Marche du Siècle" (mars 2019), la "Marche Look Up" (avril 2022).

Déferlantes féministes : printemps des corps, printemps des voix

Le mois de mars bascule dans une vague violette : du 8 mars et ses cortèges pour les droits des femmes et minorités de genre, jusqu’aux festivals féministes qui jaillissent partout, le printemps célèbre une lutte au long court. Car ici la fête n’est jamais loin de la colère, et la colère jamais loin de l’espoir.

8 mars : la grève féministe et la rue en dérive violette

Chaque 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, des dizaines de milliers de personnes font irruption dans les rues de Paris, Marseille, Lille, Bordeaux, Nantes : grèves dans les secteurs nets (santé, social, éducation), convergences avec les collectifs LGBTQI+, têtes de cortège intersectionnelles (Nous Toutes, Collectif National pour les Droits des Femmes, Meufs, Gars et Autres).

  • En 2023 : près de 80 cortèges organisés dans toute la France, totalisant plus de 100 000 participant·es.
  • Formes d’actions : assemblées générales, performances, ateliers d’autodéfense et cercles de parole spontanés sur les places publiques.
  • Échos marquants : recours à la grève du travail domestique et invisible, slogans détournant les codes publicitaires, banderoles brodées collectivement…

Festivals féministes et queer du printemps

Au-delà de la rue, d’autres espaces inventent la fête comme outil de réappropriation des corps. Citons le Festival Les Bâtardes (Paris, mai), Le Printemps des Fameuses (Nantes, mars), ou encore La Fête du Slip (Lyon, avril) : ces événements tissent spectacles, conférences, ateliers, concerts, market place d’artistes et rencontre d’associations. Le Printemps des Fameuses réunit chaque année plus de 3000 personnes. Les festivals queer du printemps rassemblent de 500 à 800 participant·es selon les éditions.

  • Points communs : lieu d’écoute safe, autogestion, librairies féministes ambulantes, village d’associations et calligraphie sur les murs.

Luttes sociales et convergence des colères : syndicats, hôpitaux, précaires

Le printemps porte aussi son lot de mouvements sociaux spectaculaires, où syndicats, collectifs de soignant·es ou de précaires se retrouvent sur les places, entre occupations de facs, blocages autoroutiers et nuits entières passées sous la pluie à réinventer le politique.

Manifs historiques et actes de solidarité nationale

  • 1er mai : Journée internationale des travailleurs et travailleuses.

Pic traditionnel des mobilisations en France, le 1er mai réunit, selon les années, entre 120 000 et… plus de 2 millions de manifestant·es (1,9 million en 2023 selon la CGT ; 782 000 selon le Ministère de l’Intérieur). Les cortèges syndiqués (CGT, Solidaires, FSU, CFDT…) voisinent, depuis 2016, de puissants quartiers autonomes fédérant Gilets Jaunes, antiracistes, étudiants et collectifs d’auto-organisation (Source : Le Monde).

  • Rituels : concerts mobiles, tracteurs paysans, fanfares militantes, interventions d’artistes urbains.
  • Formes récentes : présence croissante des collectifs jeunesse pour le climat, des Travailleurs Sans Papiers, des collectifs contre les violences policières.
  • Lieux principaux : Paris (Place de la République), Marseille (Vieux-Port), Nantes, Rennes, Toulouse… mais aussi en milieu rural.

Occupations de facs et mouvements étudiants

Quand la colère contre la réforme des retraites ou contre Parcoursup enfle, le printemps des campus se mue en laboratoire social à ciel ouvert : AG de centaines d’étudiants, montage de cantines collectives sur les pelouses, partage de livres et ébauche de ZAD intellectuelle dans les amphis. En mars-avril 2023, plus de vingt universités françaises ont connu grèves, blocages, nuitées sur place, notamment à Paris (Tolbiac, Sorbonne), Rennes, Lyon, Grenoble.

  • Cultures de lutte : banderoles cousues la nuit, ateliers d’écriture engagée, spectacles clandestins avec les collectifs d’art vivant (La Quadrature du Théâtre, le Collectif des Oublié·es de la Culture...)

Voix des territoires : forêts, bocages, villages en lutte

Loin des capitales, le militantisme s’invente au fil de territoires menacés ou en résistance. Le printemps redevient alors une saison de rassemblements dans les forêts (Forêt de Morvan, Sivens), les vallées (Villaroger en Savoie, la lutte contre le Lyon-Turin) et les villages menacés de disparaître (Larzac hier, Lützerath dernièrement en Allemagne – comme source d’inspiration).

  • Exemples : les rassemblements annuels pour défendre le Plateau des Millevaches (mars/avril), où convergent éleveurs bio, naturalistes, zadistes et collectifs ruraux pour une semaine de débats, projections, bœufs musicaux sous yourte et échanges autour de la défense des communs ruraux (environ 800 à 1200 participant·es selon les années – source : France 3 Régions).
  • Ambiances : bivouac, transmission intergénérationnelle entre néo-ruraux, paysans, militant·es et enfants du pays.
  • Inspirations croissantes : l’exemple du ZAD Notre-Dame-des-Landes agit en miroir sur d’autres luttes printanières.

Festivals militants et rendez-vous associatifs du printemps

Au-delà des seules manifestations ou occupations, la France du printemps accueille quantité de festivals où la fête cohabite sans crainte avec le débat politique : chroniques engagées, ateliers d’autodéfense, chantiers collectifs, scènes ouvertes et bals antifascistes néo-trad.

Quelques emblèmes du genre :

  • Festival Résistances (Foix, Pyrénées, avril) : consacré à la culture et à la citoyenneté engagée, avec 5000 visiteur·ses chaque année.
  • Festivals Alternatiba : étapes locales d’Alternatiba, collectif pour la transition citoyenne (Saint-Denis, Grenoble, Toulouse…), où se retrouvent porteurs de projets de territoires en transition, familles militantes, musiciens du monde et associations paysannes.
  • FestiZad : sur le site historique de Notre-Dame-des-Landes, rassemblement printanier, mélange de chantiers collectifs, concerts, forums des luttes (jusqu’à 10 000 personnes selon les éditions).

À travers ces festivals, la jeunesse et les familles y trouvent une expérience entre camp scout, court métrage engagé, roller derby queer et bal folk souterrain. Le militantisme ne s’y vit plus seulement dans le conflit mais dans la célébration joueuse : couture de banderoles gigognes, débats sur l’après-capitalisme, transmission des savoir-faire (four solaire, éco-construction, médecine de squat).

Mobilisations pour les droits LGBTQIA+ et solidarités migrantes

Le printemps est également la saison des premiers Pride de l’année hors de Paris : la Pride de Tours en avril, celle d’Angers en mai… Moment d’intersection notable, chaque événement se double de stands d’associations migrantes ou de collectifs antiracistes partenaires, comme Le Refuge, Acceptess-T ou la Fédération des acteurs de la solidarité.

  • Formes d’actions : cortèges, soirées intersectionnelles, ateliers de documentation et partages d’expériences vécues.
  • Exemple : la Pride de Tours attire entre 6 000 et 10 000 participant·es (Source : La Nouvelle République).

Récits à venir : le printemps comme fabrique d’utopies collectives

Le printemps militant en France ne cesse de se redéployer, composant chaque année de nouveaux fronts – économiques, écologiques, féministes, solidaires. Nul besoin de tout recenser, mais il est précieux d’en garder des traces, d’en relayer les invitations : pour que la fête, la lutte, la prise de parole et l’invention collective demeurent vivantes, partagées, contagieuses.

En somme, derrière chaque rassemblement, ce sont des imaginaires, des solidarités et des liens qui s’inventent, se tissent, se transmettent – joyeux héritages du printemps.

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