Cartographier la révolte : Où trouver les rassemblements militants en France aujourd’hui ?

18/09/2025

Des agendas militants natifs du web, de l’urgence à l’organisation

Avant l’accélération des mobilisations sociales depuis 2016, peu d’espaces en ligne parvenaient à fédérer toute la palette des événements militants hexagonaux. Depuis, l’urgence climatique, la recomposition des mouvements féministes et l’irruption de la rue en gilets jaunes ont catalysé la création de véritables carrefours numériques d’information.

  • La plateforme Mobilisations.org : Mise en place lors des grandes marches pour le climat, cette plateforme tente de fédérer la diversité des initiatives écologistes, anticapitalistes et solidaires. C’est un espace contributif où chaque collectif peut proposer son événement, local ou national. La carte interactive recense grèves, rassemblements, actions directes, projections… Le site revendique près de 18000 événements renseignés depuis sa création.
  • Greve.info : Apparue en 2023 au fil des mouvements contre la réforme des retraites, Grève.info s’est imposée comme le fil rouge de la mobilisation intersyndicale et des actions de blocage. Cette plateforme documente, en temps réel, piquets de grève, assemblées générales et rassemblements, couvrant plus de 1500 événements sur tout le territoire lors du printemps social 2023 (source : Le Monde, 2023).
  • L’agenda Paris-luttes.info : Surtout centré sur l’Île-de-France, il propose un agenda quotidien riche, croisant autogestion, antiracisme, luttes LGBTI+, féminismes, écologie radicale, et dissidence culturelle. Un moteur de recherche permet de filtrer par thématique et par type d’action. La force : une mise à jour quasi quotidienne nourrie par les collectifs eux-mêmes.

Outre leur effet documentaire, ces outils sont aussi des laboratoires de démocratie numérique : modération collective, anonymisation, refus de la publicité et des logiques marchandes (cf. Framalibre). Un rempart contre les tentations de plateforme à la Airbnb.

Des cartes vivantes : géographies critiques des luttes

D’autres démarches misent sur la cartographie en ligne pour faire de la lutte une affaire d’espace partagé. En partant de l’idée que l’accès aux rassemblements commence par prendre la mesure des territoires en lutte :

  • La carte GreenVoice/Agir : Hébergée par Greenpeace puis étendue à de nombreux collectifs, elle recense non seulement les événements environnementaux, mais aussi les groupes locaux et les actions récurrentes. Près de 720 collectifs y sont répertoriés en 2024, incluant Retraités pour le Climat, Extinction Rebellion, ANV-COP21.
  • Résistance-Info.org : Plateforme indépendante née de la convergence antiraciste et antiautoritaire, elle propose une carte collaborative de manifestations, actions solidaires, festivals politiques et occupations. Elle encourage également l’auto-recensement pour faire vivre une géographie mouvante et inclusive.
  • Zad.nadir.org : Référence historique de l’info-zadiste, la carte des zones à défendre (ZAD) signale toutes les mobilisations locales contre des projets imposés (bases de loisirs, méga-bassines, GPII, etc.), mais propose également un agenda alternatif souvent invisible des médias généralistes.

Nommer alors, c’est aussi relier — ou comment une carte en ligne devient tout à la fois répertoire, mémoire collective et outil de mobilisation.

Du local au national : la diversité (et les limites) des agendas associatifs

Derrière l’effervescence contestataire, il existe des plateformes historiques, adossées à des organisations de la société civile, qui centralisent depuis des années des agendas militants, parfois dans une tension entre institutionnalisation et vivacité des marges.

  • France Bénévolat : Son agenda national propose un large panorama d’événements associatifs, de forums solidaires et de journées nationales (exemple : journée du Refus de la misère, Nuits Debout anniversaires, etc.), mais pêche parfois par son orientation généraliste.
  • Linscription.com : Moins militante dans la philosophie mais massivement utilisée, c’est la “Passerelle” d’inscription pour un nombre croissant de réunions climat, conventions citoyennes et festivals associatifs (y compris Alternatiba ou ATTAC).
  • Alternatiba : Le mouvement Alternatiba, pionnier en matière de fêtes des alternatives et de convergences écolos, tient à jour un agenda de toutes les initiatives, formations à l’action non-violente, villages de résistance, relayant également les réactions humaines aux catastrophes (inondations, incendies, etc.).

Leur force : une organisation éprouvée, des réseaux territoriaux denses et une certaine régularité dans la tenue des calendriers. Leur faiblesse : l’exclusion possible des groupes informels ou d’actions éphémères (rave politiques, contre-festivals, occupations spontanées).

Les réseaux sociaux : arène ou labyrinthe pour les mobilisations nationales ?

Impossible de lire la fabrique contemporaine des rassemblements sans plonger dans la galaxie des réseaux sociaux. Sur Telegram, WhatsApp, Signal, les « canaux » foisonnent ; sur Instagram et Facebook, les événements se multiplient. Mais la structure même de ces plateformes impose une géographie singulièrement mouvante des rendez-vous de la rue.

  1. Facebook & Instagram : Selon Méta, plus de 40 000 événements ont été créés chaque année en France portant le mot “manifestation” ou “rassemblement” (source : data Méta, 2022). Le revers : filtrage algorithmique, public restreint à certains groupes, modération parfois zélée, surtout en période de tension. Les communautés militantes les plus actives privilégient désormais les comptes secondaires, stories éphémères, et l’usage du pseudonyme.
  2. Telegram : Canal d’information privilégié depuis les Gilets Jaunes et les contre-mobilisations antipas sanitaires. Certaines chaînes comme “Action Populaire” ou “Coordination Antifasciste” dépassent les 15 000 abonnés, et relaient à la fois alertes, dates et points de rendez-vous, dans une logique décentralisée mais souvent tributaire du bouche à oreille et du flou sécuritaire (signalements, infiltration...).
  3. Signal et WhatsApp : Plus discrets, ces outils servent surtout de relais locaux ou de coordination de dernier kilomètre (relais de communiqués, check-point de dernière minute, partages de visuels actualisés).

Mais cette myriade de groupes privés implique une opacité croissante : pour qui débarque de zéro, l’accès à l’information reste inégal. La viralité a ses zones blanches.

Inspirations internationales et initiatives à surveiller

Si la France possède une riche diversité d’outils, il est éclairant de regarder quelques modèles voisins, souvent sources d’inspiration pour les créations hexagonales :

  • Resistance Map (US/Canada) : Recensement autogéré des actions directes, grèves et occupations.
  • MapHub (Europe) : Outil open source utilisé par des activistes allemands et espagnols pour documenter en temps réel les rassemblements et les dispositifs policiers.
  • RiseUp.net : Coopérative numérique qui diffuse, à l’international, outils d’organisation sécurisée pour les collectifs militants.

En France, la plupart de ces démarches restent en dialogue constant avec la scène européenne et nord-américaine. D’ailleurs, les appels aux convergences (contre GPII, méga-bassines ou police climatique) passent souvent d’abord par ces réseaux transnationaux, avant d’être relayés sur les plateformes nationales.

L’organisation des invisibles : des collectifs en résistance à la centralisation

Certain·es militant·es choisissent de ne jamais apparaître sur aucune plateforme centralisée : question de sécurité, de défiance vis-à-vis de la surveillance, ou de fidélité à une tradition orale de la lutte. Certains réseaux, tels que les collectifs de la marche des Sans-Papiers, les compagnonnages anarchistes ou les Cercles de silence, se transmettent les informations par affichage, bouche à oreille, ou via des radios pirates (sur les ondes FM ou le web).

D’autres inventent des outils hybrides :

  • Sites “éphémères” qui disparaissent après la mobilisation.
  • Papiers “zines”et gazettes tirées à la main, sur les barricades ou lors des festivals de l’autonomie.
  • Utilisation détournée des applications de randonnée (OpenStreetMap, Cirkwi) pour signaler des parcours de manifestations.

Cette multitude — ni tout à fait en réseau, ni tout à fait déconnectée — rappelle à quel point la résistance préfère souvent la rumeur à la publicité, la trace discrète à l’événement viral.

Traversées et bifurcations : choisir sa propre boussole

La cartographie des luttes n’est jamais figée. Elle n’est ni exhaustive, ni parfaitement transparente. Les agendas numériques et les plateformes restent essentiels pour donner chair à la circulation des solidarités, mais seulement parmi d’autres outils : une affiche dans un café, une info transmise à la volée, une voix sur le répondeur des radios libres. L’essentiel ? Rester attentif·ve aux signaux faibles, expérimenter des alternatives, accepter que la joie collective passe encore parfois par le détour et les chemins de moindre visibilité.

Rassembler n’est pas uniformiser : c’est relier. À travers les plateformes, agendas, cartes et inventions informelles, chaque lutte cultive ses propres alliances. Et si, demain, une plateforme nationale venait à tout recenser, il resterait toujours place, dans le rugissement et le silence, pour les inédits et les imprévus.

Sources :

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